L’Union européenne et la Chine sur les nouvelles routes de la soie

L’Union européenne et la Chine sur les nouvelles routes de la soie

Article par Romano Prodi et par David Gosset dans Le Huffington Post du 19 Octobre 2015

L’intégration certes complexe mais irréversible du continent européen et la renaissance de la civilisation chinoise sont, en un sens, les deux facteurs de changement les plus significatifs de notre temps, la juste articulation de ces deux processus ne peut être que mutuellement féconde et, par ailleurs, une source de croissance et de stabilité pour notre village global.

Le 40e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre l’Union européenne (UE) et la Chine est une occasion de reconnaître l’intensité sans précédent des échanges eurasiatiques, mais aussi de présenter, en une période de mutuations rapides, les moyens d’inverser ce qui apparaît comme la diminution relative de l’importance de la relation sino-européenne par rapport aux dynamiques qui relient d’autres pôles de puissance.

En quatre décennies, la carte de l’Eurasie a été profondément transformée, ce qui est devenu l’Union européenne un an après la désintégration de l’URSS se compose de 28 Etats membres formant la première économie du monde, et la Chine a progressivement retrouvé une position de centralité au sein d’un monde multipolaire.

Un commerce bilatéral atteignant 467 milliards d’euros l’an dernier est synonyme d’interdépendance économique entre Pékin et Bruxelles, l’UE est, en effet, le premier partenaire commercial de la République populaire de Chine, alors que cette dernière est, après les Etats-Unis d’Amérique, son deuxième partenaire économique.

Toutefois, la juste appréciation de ce qui a été accompli ne doit pas détourner des changements au sein des deux régions qui ont déjà modifié la façon dont elles se perçoivent et s’approchent par leur diplomatie.

Comme l’a illustré l’incapacité de l’UE à lever un embargo anachronique sur les armes en direction de Pékin, mais aussi l’échec de la coopération sino-européenne dans le domaine des systèmes de navigation par satellite, il a été souvent difficile pour Bruxelles de mettre en œuvre une politique autonome dans ses relations avec le Pays du Milieu.

Dans la conduite de sa politique extérieure, Pékin a intégré le fait qu’un groupe composé de 28 membres ne sera pas en mesure dans un futur prévisible de mener une diplomatie véritablement indépendante. Si le manque de cohésion de l’UE a érodé la puissance de l’UE, la montée de l’euroscepticisme qui a suivi la crise financière de 2008 affecte sa capacité à agir. Face à ces limitations intrinsèques et à ce qui ressemble de plus en plus à une paralysie de l’UE, les Etats-Unis sont le principal interlocuteur de Pékin sur les questions stratégiques, et, en ce qui concerne l’Europe, la Chine a réactivé ses relations avec les Etats membres à la grande satisfaction de Berlin, Paris, Londres ou Rome, mais contribuant aussi à l’éclipse de Bruxelles.

Aucune tension commerciale sérieuse ne complique les liens entre les deux continents dans la mesure où ce sont les échanges relativement équilibrés sino-allemands représentant 30% du commerce total sino-européen qui dominent les relations UE-Chine sur le plan économique.

Ces relations sont certes solidement ancrées dans la relation spéciale liant Berlin et Pékin, mais cette dernière leur fait aussi de l’ombre. L’Allemagne, leader réticent de l’Europe, ne pourra d’ailleurs pas se transformer au-delà des frontières de l’UE en un chef d’ orchestre moteur des relations trans-continentales.

Avec le commerce sino-européen, le soutien de la Chine à la monnaie européenne depuis son entrée en circulation et la confiance continue de Pékin dans la zone euro aux pires moments de la crise de la dette souveraine grecque, créent une disproportion frappante entre le poids économique et financier des relations UE-Chine et leur légèreté, ou quasi insignifiance, politique et stratégique.

Alors que la promesse de l’émergence de Bruxelles comme un pôle indépendant de puissance politique n’a pas été tenue, la façon dont la Chine est perçue par Bruxelles évolue également. Préoccupé à l’est par la situation en Ukraine, inquiet du désordre politique au sud qui génère des pressions migratoires, et faisant face aux fragilités persistantes de la zone euro et aux incertitudes induites par le référendum britannique, Bruxelles a, pourrait-on dire, pivoté vers l’Europe au moment où d’autres déploient des stratégies globales.

Dans ce contexte, le risque est que Pékin ne soit plus considéré par l’UE comme l’ une de ses premières priorités, le ralentissement économique de la Chine, renforçant indirectement ce pivot vers l’Europe de Bruxelles.

Pourtant, les fluctuations de court terme ne sont évidemment pas les tendances sur le long terme, c’est sur l’idée qu’en 2050 l’économie chinoise sera le double de l’économie américaine que l’attention des stratèges européens doit se fixer. La facilitation du commerce, la construction de la Nouvelle Route de la Soie et l’exploration d’une Nouvelle Route de la Soie numérique peuvent donner un nouvel élan aux relations UE-Chine.

Un accord sur l’investissement est clairement nécessaire, mais le commerce UE-Chine peut aussi être stimulé par la poursuite de l’ouverture réciproque des deux marchés. Alors que les conditions sont créées pour l’ intensification du commerce trans-Pacifique et transatlantique, la Chine et l’UE doivent ouvrir un nouveau chapitre de leurs échanges économiques alors que Pays du Milieu est devenu le grand marché du monde.

C’est autour de la stratégie de la Nouvelle Route de la Soie avec l’objectif d’une meilleure connectivité en Eurasie et à travers l’océan Indien que le président chinois Xi Jinping a organisé son action diplomatique. Pékin et Bruxelles doivent se mobiliser afin de créer les conditions politiques et financières pour que leurs entreprises construisent ensemble les infrastructures qui feront de la Nouvelle Route de la Soie une réalité.

C’est dans ce cadre, qu’à côté du Fonds pour la Nouvelle Route de la Soie, de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, de la Nouvelle banque de développement, la Chine et l’UE pourraient lancer un Fonds sino-européen pour la Nouvelle Route de la Soie.

Si Bruxelles ne répondait pas à l’appel de Pékin pour construire la Nouvelle Route de la Soie, la Chine poursuivrait son but seule ou avec d’autres partenaires pro-actifs et l’UE se retrouverait rapidement à la périphérie d’un réseau économique et diplomatique réalisé en des termes définis par le Pays du Milieu.

Google et Baidu, Twitter et WeChat, YouTube et Youku, eBay et Alibaba symbolisent les grandes découvertes du numérique qui ont ajouté une nouvelle dimension à la politique et à l’économie mondiale. Les Européens se sont contentés de regarder les Américains et les Chinois exploiter les e-terrae incognitae et ils ont été des spectateurs passifs du grand jeu numérique autour du Pacifique, mais si l’Europe veut être plus qu’un utilisateur du numérique américain et, bientôt, du numérique chinois, elle doit non seulement être attentive à la créativité de la Silicon Valley, mais il lui faut aussi trouver des synergies avec l’e-Chine sur une Nouvelle Route de la Soie numérique pas encore entravée par la cyber méfiance.

Un trio non-exclusif UE-Chine-Etats-Unis est une étape nécessaire vers une multipolarité organisée, ni le G2 sino-américain, ni l’alliance occidentale euro-américaine ne peuvent se substituer à un tel tripode géopolitique, source de stabilité et de prospérité sur le long terme. Mais ce trio restera inachevé si le partenariat UE-Chine n’est pas à la hauteur de la vitalité des liens euro-americains et sino-américains.

Lorsque la Chine et l’Europe coopèrent, c’est le dialogue entre deux anciennes civilisations qui est à l’œuvre. Dans un monde menacé par le choc des civilisations, les synergies sino-européennes sont la démonstration que les cultures peuvent se développer par des enrichissements mutuels.

Invitation à réinterpréter les nombreux sens de l’ancienne Route de la Soie, la Nouvelle Route de la Soie est aussi le projet de nouvelles fécondations croisées, la promesse d’harmonies futures.

  • Romano Prodi a été le président du Conseil des ministres de la République italienne (1996-1998, 2006-2008) et le président de la Commission européenne (1999-2004).
  • David Gosset, directeur de l’Academia Sinica Europaea à la China Europe International Business School (CEIBS), est fondateur du Forum Europe-Chine et de la New Silk Road Initiative.
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