Europa: abbiamo evitato il peggio, ma abbiamo creato il male

greciaCrise de la zone euro : « Nous avons évité le pire, mais nous avons créé le mal »

Propos recueillis par Philippe Ridet avec Romano Prodi sur Le Monde du 20 Juillet 2015

L’Italien Romano Prodi, 75 ans, a présidé la Commission européenne entre 1999 et 2004.

Les conditions imposées à la Grèce pour son sauvetage vous paraissent-elles acceptables ?

Romano Prodi : Puisqu’elles ont été acceptées, elles sont donc acceptables. Mais elles ont été imposées de la pire manière qui soit. On a transformé un petit problème en un énorme problème. Si on avait fait preuve de bonne volonté dans un contexte de solidarité qui prévalait autrefois, tout aurait été plus facile. La confiance qui doit être à la base des relations entre les pays européens a été anéantie. Nous avons évité le pire, mais nous avons créé le mal.

Faut-il restructurer la dette d’Athènes ?

Tout le monde sait depuis longtemps que la Grèce ne pourra pas rembourser la totalité de sa dette. Réduction forte, abaissement des taux d’intérêt ou allongement des durées de prêt ? Au fond, cela ne fait pas une grande différence pratique. Mais quand un malade est dans un état grave, il faut mieux agir de façon chirurgicale.

Au fil des négociations, un fossé s’est creusé entre le nord et le sud de l’union monétaire. Peut-il être comblé ?

Cette fracture existe sans aucun doute. Pourtant, le nord de l’Europe, et disons plus clairement l’Allemagne, a su profiter de l’euro. Je m’attendais de sa part à une plus grande attention à l’intérêt commun, vu que ses intérêts nationaux ont été satisfaits. Mais l’opinion publique allemande a beaucoup changé. Quand les Américains ont pris le leadership sur le  monde à la fin de la seconde guerre mondiale, ils ont lancé, eux, le plan Marshall. Non pas par charité chrétienne, mais comme une conséquence naturelle de leur puissance.

L’Europe peut-elle être en « danger de mort » ? D’autres crises peuvent-elles surgir et où ?

Quand nous avons décidé de lancer l’euro, puis d’aller de l’avant avec la Constitution, rejetée par les Français et les Hollandais [en 2005], nous étions tous d’accord pour dire que cette construction reposait sur deux piliers : le pilier monétaire et le pilier économique et fiscal. Malheureusement, seul le premier pilier a été érigé. Donc, l’Europe est un pain à moitié cuit. Le pain mal cuit est difficile à mastiquer, à avaler… Les citoyens européens ne peuvent pas se sentir protégés dans une Europe à moitié achevée. Restent deux solutions : ou bien nous finissons la cuisson, c’est-à-dire que l’Europe se dote d’une politique économique et fiscale, ou bien d’autres crises surgiront. Elles peuvent venir aussi bien de l’Allemagne que de la France, de l’Italie ou de l’Espagne.

Même de l’Allemagne ?

Lorsque je présidais la Commission, je prenais cet exemple absurde : « Que ferait l’Union si un tremblement de terre détruisait le Luxembourg ? » Or, cette probabilité est quasi impossible. Cela pour dire que les crises peuvent surgir n’importe où d’événements imprévisibles. La politique en général est faite pour gérer même l’imprévisible, mais nous ne sommes pas armés pour faire face aux crises financières ou à l’imbroglio grec… Il faudrait aussi évoquer la frilosité des gouvernements français, toujours rétifs à aller de l’avant.

Le couple franco-allemand peut-il être encore le moteur de l’Europe ?

Non. Non, parce que ce moteur est complètement déséquilibré. L’Allemagne dispose de plus de puissance, de plus de cylindrée ; en comparaison, la France paraît bien plus faible. Or, les moteurs ne peuvent pas fonctionner de cette manière. Il y a un an, j’ai proposé une plus grande collaboration entre l’Italie, la France et l’Espagne, dont les intérêts sont identiques. Mais cette idée n’est pas encore politiquement mûre. Malheureusement, la confiance manque. Chacun veut se croire le maître de l’autre !

De quoi l’Europe est-elle coupable dans la crise grecque ?

C’est une longue histoire. Quand, en 2003, j’ai voulu faire respecter le pacte de stabilité que la France et l’Allemagne avaient malmené, Jacques Chirac et Gerhard Schröder me firent remarquer que ce n’était pas le rôle de la Commission. J’ai proposé alors qu’une « cour des comptes européenne » surveille les budgets des divers pays. Ils me répondirent qu’il y avait déjà assez d’autorités de contrôle bureaucratiques en Europe. J’ai alors proposé que l’office européen de statistiques, Eurostat, puisse s’en occuper. Nouveau refus. Dans un entretien au Monde [en octobre 2002], j’avais déclaré que le pacte de stabilité était stupide. Parce qu’il y a des années où il faut avoir des budgets excédentaires et d’autres où il faut faire du déficit. Treize ans plus tard, c’est encore plus évident : il est stupide, car il n’est qu’une norme arithmétique. A partir du moment où l’on a empêché la Commission de gérer le pacte de stabilité et où l’on a choisi la voie des égoïsmes supranationaux, on a ouvert la voie à la crise grecque et à mille autres problèmes dans l’avenir.

Peut-on encore réenchanter l’Europe ?

Nos gouvernements ont cru préférable de suivre les partis populistes en faisant moins d’Europe. Pourtant, c’est dans les moments comme celui-ci qu’il faudrait revenir à l’esprit des pères fondateurs. Combattre le populisme en réfrénant la solidarité et la construction européenne n’est pas une solution. Nous, les Européens, nous avons un destin à assumer dans le monde si nous sommes unis. Autrement, nous sommes finis.

Croyez-vous encore dans le projet européen ?

Oui, j’y crois parce que, à chaque fois que nous sommes arrivés au bord du précipice, la sagesse des peuples, même si elle était dictée par la peur, nous a de nouveau réunis. Mais si nous continuons comme cela, nous passerons totalement à côté de la marche du monde. Je souffre énormément de voir ce que l’Europe est devenue.

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Dati dell'intervento

Data
Categoria
luglio 20, 2015
Interviste